vendredi 16 octobre 2015

[Hors série pas ronchon] L'effet Florence + the Machine

[Hello there, oui ça fait un bail et c'est un peu hors-sujet mais en même temps non, Florence Welch se dit féministe après tout ! Je sais, il vaut mieux ne pas compter sur les stars pour aborder ces sujets généralement parce qu'elles ont tendance à dire des bêtises et avec l'influence qu'elles peuvent avoir c'est parfois dangereux. Il n'est jamais bon de mettre quelqu'un sur un piédestal mais j'ai envie d'admirer Florence Welch et sa musique encore longtemps, donc hors-sujet mais hors-sujet qui fait du bien.]

Mon cœur était en miettes ce jour-là, si bien que je me suis plusieurs fois demandée si j'allais trouver la force d'aller à ce concert. J'ai bien fait de sortir, ne serait-ce que pour prendre l'air et m’essouffler en marchant sans m'arrêter pendant des heures. Je savais que j'allais me perdre mais je crois que c'est justement ce dont j'avais besoin (salut à toi, utilisateur de smartphone à qui ça n'arrive plus).

L'idée de voir et d'entendre Florence Welch s'est mêlée aux autres pensées qui tournaient dans ma tête et elle s'est fixée, elle a fait s'emballer mes battements et j'ai laissé tout le reste sur le bord de la route, docilement guidée par de vagues échos.

J'emprunte des routes inconnues dont je cherche les noms, je longe la rivière, je m'abrite un instant de la pluie sous un pont et je reprends mon chemin contre le vent.
Je suis quelqu'un de calme en apparence, la musique de Florence + the Machine ne me ressemble pas à priori. Pourtant, elle me transforme et elle me parle, elle me raconte des histoires et j'entends dans ses paroles la littérature et la poésie dont je suis aussi faite. Aux heures passées minuit je consacre parfois de folles danses comme des rituels, la musique m'emporte complètement, je suis seule au monde, le volume à fond dans les écouteurs (ne faites pas ça chez vous, je suis une professionnelle du n'importe quoi).

J'arrive au stade vers 17h, les portes ouvrent à 18h30. Il y a un peu de monde devant moi, je me demande si je suis au bon endroit et finalement me voilà dans la file. On nous place devant plusieurs portes, je me retrouve en 4ème position dans l'une des files, sachant que de l'autre côté du stade il y a d'autres gens qui attendent comme nous, je trouve que je m'en suis bien sortie ! Je jubile en silence et je commence à m'appuyer sur un pied puis sur l'autre, mes ampoules me font mal, je me demande ce que tout ça va donner une fois à l'intérieur.

Derrière moi un groupe d'amis papote de tout et de rien, la moyenne d'âge est la vingtaine, même si j'ai pu constater par la suite qu'il y avait aussi des enfants et leurs parents (je soupçonne les parents d'être les premiers concernés mais je me trompe peut-être !) et des personnes un peu plus âgées. J'aperçois dans nos rangs quelqu'un qui porte un t-shirt avec le symbole des reliques de la mort, impossible de le rater. Une autre personne un peu plus dans le ton porte celui de la tournée. Devant moi une jeune femme seule garde un silence religieux, je suis un peu soulagée de voir que je ne suis pas la seule à me déplacer sans être accompagnée et j'observe son silence respectueusement. J'ai hésité un instant à faire connaissance avec les fans qui bavardaient dans mon dos mais... je n'étais pas d'humeur à taper la causette.

Quand, SOUDAIN, une chevelure familière se pointe dans les escaliers qui mènent aux files d'attente.
« Eh, mais c'est pas Florence ? »
La petite foule reste un instant confuse avant de se précipiter vers la chanteuse venue nous saluer. J'y vais ? J'y vais pas ? Le moment de doute n'est pas permis, j'ai laissé passer mon tour pour garder ma place dans la file, la personne devant moi a fait de même. Une autre fois peut-être, je ne veux pas risquer d'être trop loin de la scène, je suis petite et j'ai une mauvaise vue, il vaut mieux être prudente. J'ai fait un grand signe de la main comme elle le faisait, j'ai quand même vu ce visage d'une beauté sidérante afficher un large sourire, elle n'est pas restée longtemps, c'était inattendu, « see you later on that... there ! », a-t-elle dit en désignant le stade. Le groupe derrière moi s'est demandé si elle avait bu, je ne pourrais parier là dessus mais j'ai eu l'impression qu'elle communiquait simplement son enthousiasme comme elle pouvait, elle était radieuse.

Je me prépare à courir, j'ai fait plusieurs cauchemars dans lesquels j'étais incapable de voir la scène, je fais toujours ces cauchemars avant un concert, c'est ma phobie de petite femme à la vue désastreuse !

Les portes s'ouvrent enfin et on se précipite à l'intérieur. C'est très mal éclairé et je ne vois rien, je me trompe de chemin par deux fois et j'emprunte des escaliers qui ne mènent pas au centre de la salle. Malgré le retard que j'ai pris, je m'en sors plutôt bien, je ne vois pas toute la scène mais je vois l'essentiel. A ma droite, un sosie de Taylor Swift se vante « c'est l'avantage d'être grande, je vois tout ! » pourtant elle fait un geste avec ses mains pour signaler à sa copine qu'à la première occasion elle tentera de passer devant. Ce ne sont que des détails bien sûr mais j'ai quand même souhaité très fort un concert privé à ce moment là (et un peu plus tard quand une bagarre a commencé dans mon dos ou quand une nana a essayé de passer devant tout le monde « parce que c'est un pari », ça rend facilement misanthrope).

Face à nous, une affiche porte le nom du groupe choisi pour la première partie : The Staves.
Mes pieds n'en pouvaient plus, c'était vraiment douloureux d'attendre dans cet espace vital limité, au minimum une nouvelle heure d'attente cette fois. Derrière moi, des gens se sont assis. Au final quand le groupe a fait son entrée, je pense que je n'étais pas dans les meilleures conditions pour apprécier ce que j'entendais. Je voulais voir Florence, le rythme calme de la folk jurait avec les couleurs que j'avais dans la tête mais une fois chez moi j'ai retenté l'expérience et ça a beaucoup mieux fonctionné !

Une demie-heure après la première partie, je ne tenais plus en place. Et je ne parviens pas à trouver les mots pour parler du concert. Cela fait des semaines que j'essaie, mais je ne trouve pas, rien ne parvient à décrire ce qui s'est produit comme ça s'est produit. J'ai quelques moments particuliers en mémoire comme Cosmic Love pendant laquelle les mains de Florence sont devenues des battements de cœur. Ce moment où elle nous a demandé de nous prendre dans les bras les uns des autres, où je n'ai pas bougé parce que je me suis dit que tout le monde n'aimait pas forcément les câlins d'inconnus, mais où ma voisine de gauche s'est collée à moi, et joue contre joue on regardait notre idole courir, tourner sur elle-même et sauter partout. J'étais en transe, vraiment, tout du long, je crois que je n'ai jamais vécu ça comme ça pendant si longtemps. Intensité maximum, j'ai chanté à plein poumons, tenté de toucher la main de la chanteuse, communiqué... non, communié avec elle, les mains en l'air dans le rythme, tremblante parfois, ailleurs que sur cette planète. Tout le monde chantait autour de moi, il m'a semblé que pas une seule parole ne nous échappait. Derrière moi, un « We love you Machine ! » m'a fait rire, oui, on t'aime Machine ! On te kiffe grave ! Toi et tes poses christiques, tes airs de diva figée dans le temps et le délire dans lequel tu nous as plongé, on en redemande, c'est quand tu veux. Tant d'énergie, c'est un super pouvoir et il est contagieux.

Le bus après le concert était en retard, j'ai dû rentrer à pied chez moi et je me demande encore comment c'était humainement possible après avoir sauté et dansé à perdre la raison. C'était magique, indescriptible, ce qui se rapproche encore le mieux de ce qui m'est arrivé c'est un album de Florence + the Machine.


(Mon appareil photo n'est pas spécialisé en sujets aussi actifs que celui-ci, j'ai fait de mon mieux)


 

samedi 8 novembre 2014

[Réaction] Convictions à géométrie variable ou le principe de la double mesure.

Cet article risque de déstabiliser un peu les gens qui sont complètement étrangers à la twittosphère féministe francophone. Je ne vais pas détailler les faits point par point, je souhaite simplement mettre au clair tout ce qui a pu me passer par la tête et me révolter ces derniers temps et expliquer pourquoi, en ce qui me concerne, ça ne peut pas continuer.

Je suis déçue et ce sentiment amer ne veut décidément plus me quitter. Je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet ni même de débattre parce que je considère qu'il y a tout simplement eu des retournements de veste sous couvert de questionnements suite à cette désormais fameuse histoire de l'Elfe.

Je n'accepte pas qu'on oppose au droit à la colère de l'oppressé un argument comme « ne pas adapter son discours est un luxe ». Nous avons toujours dit que le calme et la capacité à faire de la pédagogie était un privilège, nous (je parle d'un « nous » militant utilisant l'outil intersectionnel) prenions en compte de cette façon la souffrance et la légitimité d'une réaction à cette souffrance qui échappe à une logique de « je vais gentiment t'expliquer pourquoi tu es en train de me marcher dessus ». La première raison c'est d'abord que ça n'est pas toujours possible concrètement. On vous frappe, on vous marche sur le pied, on vous rentre dedans de façon violente que ce soit physiquement ou pas, le fait de pouvoir contrôler votre réaction est un privilège, cela montre aussi que peut-être, la violence que vous venez de subir, vous ne la subissez pas en permanence. Je suis convaincue que ça n'est pas le rôle d'une personne blessée par des propos oppressants d'éduquer une personne qui tient des propos problématiques. C'est possible et c'est très bien qu'il y ai des gens qui puissent le faire, je respecte ça et je l'encourage, mais le réclamer de façon systématique c'est le monde à l'envers. Je dis non à l'injonction à la pédagogie, pour moi ça n'a aucun sens.

De la même façon, je ne supporte pas qu'on vienne expliquer qu'on peut tenir des propos problématiques et que si on reçoit une réaction qui nous bouscule le résultat peut être la non remise en question et la perpétuation consciente de l'oppression. C'est un problème de dominants, c'est aux dominants de régler le problème. Je pense à l'exemple des propos grossophobes suite auxquels la personne s'est remis en question grâce à une réaction modérée des gens autour d'elle. Une personne grosse qui l'aurait traitée de grossophobe aurait peut-être braqué à jamais la malheureuse privilégiée... vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Vous vous rendez compte qu'autoriser ça c'est donner raison aux gens qui trouvent que les féministes sont agressives et impatientes et qu'elles feraient mieux de demander poliment des droits et d'attendre que ça vienne ? Que par la même occasion vous soutenez que finalement si un oppressé réagit mal (ou s'ils réagissent mal en nombre), ça ne pose pas de problème de rester dans son petit confort de pensée privilégiée ? T'as vu la grosse comment elle l'a mal pris ? Et si j'en rajoutais du coup ? C'est ça l'idée ? La carotte et le bâton ? Si tu t'y prends mal je me braque mais si tu essaies de trouver les bons mots ou si tu n'y vas pas trop fort il se pourrait que je te comprenne !

Autre chose, je pense au contraire que dans le milieu militant, il est sain de considérer d'autres militants avec moins d'indulgence que pour d'autres personnes. Pourquoi ? Parce que les militants savent (sont sensés savoir, on le répète assez souvent) comment répondre au call-out, parce qu'ils savent présenter de réelles excuses quand ça s'impose et qu'ils sont à l'écoute de celles et ceux qui subissent les oppressions. C'est la base. Est-il utile de préciser que dans le cas de l'Elfe, les premières excuses étaient du flan, suivies d'une deuxième vague de propos problématiques sur le même sujet (quand ça veut pas...) et enfin d'un billet tout aussi convaincant dans lequel elle accuse les gens de prendre du plaisir à « harceler » et de vouloir gagner de la popularité sur twitter ? Remise en question zéro pointé. L'attitude est une chose et peut-être que c'est une chose plus difficile à prendre en compte lorsque l'affect entre en jeu. Personne n'a d'immunité par rapport à ça, c'est une autre raison pour être encore moins indulgents envers un militant : considérer des propos pour ce qu'ils sont et pas parce qu'ils appartiennent à quelqu'un qu'on apprécie. Si on prétend vouloir créer un espace safe, un espace où la parole n'est pas monopolisée par les mêmes mais où celle des personnes concernées est au centre de nos réflexions, alors il faut que ces concernés n'aient jamais peur de nous dire quand nous sommes à côté de la plaque, de quelque façon que ce soit. En voulant établir un guide, en voulant codifier la prise de parole, tout ce que nous ferions c'est de rendre certains silencieux alors qu'ils ressentent le besoin de hurler, de s'exprimer là où d'ordinaire on leur fait déjà signe qu'on ne veut pas les entendre. Je ne veux pas de ce militantisme, ni maintenant ni jamais. J'aurais honte de réclamer un traitement de faveur sous prétexte que « d'habitude je suis safe » ou que « d'habitude je sais me remettre en question », j'aurais honte que d'autres militants viennent dire « non mais je la connais, en vrai elle n'est pas comme ça » ou « il faut prendre en compte le contexte, elle a eu une dure journée ». Se dire qu'il faut impérativement changer les choses parce que le call-out ça pourrait nous arriver, parce qu'on a peur d'être pointé du doigt si on dérape c'est déjà montrer qu'on est prêt à laisser tomber ses convictions pourvu que ça nous permette d'échapper à nos propres problématiques au lieu de les regarder en face. Nous sommes de bien piètres militants si dans le cas d'un call-out nous focalisons sur notre ressenti au lieu du ressenti des personnes que nous avons blessées. Si je dis des choses problématiques qui vont dans le sens d'une oppression, ne me ménagez pas, ne cherchez pas la meilleure façon de me le dire pour finir par ne rien me dire par peur de me blesser ! Bousculez-moi, secouez l'arbre et ses racines, le système qui me permet de tenir ces propos passe aussi par moi, je n'y suis pas étrangère !

Je ne vais pas parler de toutes ces conneries basées sur colère = virilisme, c'est la goutte d'eau qui a fait que j'ai désactivé mon compte twitter (première fois en 4 ans !). Les bras m'en tombent encore, j'ai lu tout et n'importe quoi ces derniers temps, j'ai juste envie que ça s'arrête.

Je terminerai avec un coup de gueule contre ces personnes qui ont commenté cette affaire en n'ayant rien suivi au moment où ça s'est produit. Pratique quand les articles qui (ne) défendent (pas du tout) l'Elfe se mettent à pleuvoir ! Bien joué, la palme de la déception vous revient de droit. Dans le cas où vous voudriez vous renseigner (sait-on jamais) sur ce dont on a le moins parlé : les propos eux-mêmes et pourquoi ils posent problème, je vous recommande cette vidéo de The Shy Queen (@QueenShyThe).


dimanche 21 septembre 2014

[Critique] How to be a Woman de Caitlin Moran, un exemple type de féminisme™

Dans l'idée, Caitlin Moran et moi on avait tout pour s'entendre. Non c'est vrai, ma première réaction quand j'ai aperçu la couverture dans les rayons de W. H Smith catégorie “best-sellers” j'ai immédiatement pensé qu'elle sortait tout droit de l'univers d'Harry Potter, un savant mélange entre Nymphadora Tonks et Bellatrix Lestrange. On allait être amies, c'était certain ! Blague à part, je comptais aussi beaucoup (et surtout) sur le fait que ce livre m'avait été conseillé par ma prof de littérature britannique de fac, je m'étais déjà plongée sur ses recommandations dans l’œuvre d'Hilary Mantel consacrée à Thomas Cromwell (Wolf Hall et Bring Up The Bodies) et j'avais adoré ! Alors un livre qui parle de féminisme tu penses, j'achète les yeux fermés !

Le titre du livre aurait peut-être pu me mettre sur la voie : « How to be a woman » c'est quand même un brin prétentieux, à moins que la conclusion du bouquin ne soit « en fait du moment que tu te sens et te définis comme femme, tu en es une, personne n'a à te dire le contraire sous prétexte que tu ne rentres pas dans les cases »... sauf que c'est très loin de la conclusion de Caitlin Moran.

Prologue, j'hésite encore...

Je commence donc ma lecture avec Caitlin Moran à 13 ans qui se fait insulter et à qui on jette des pierres dans la rue parce qu'elle n'est pas assez féminine. Je me dis qu'en vivant ça on devrait comprendre mieux que quiconque à quel point l'idée de coller à tout prix à une certaine image de la femme est une idée qu'on nous impose, une idée stupide destinée à maintenir en place le système et les cases du patriarcat. Le message est pourtant limpide : si tu ne plais pas aux hommes ils te le feront savoir, ton but dans la vie c'est de plaire aux hommes.

J'ai posé mon livre à la fin du chapitre et j'ai jeté un coup d’œil sur le net. Je me suis rendue compte que l'auteure utilise des mots comme « tranny » (insulte transphobe) quand elle trouve qu'une personne n'est pas assez féminine, elle utilise aussi ce terme pour elle-même de la même façon. Je tombe sur un tumblr qui recense les bourdes de la dame et ce que j'y lis me navre énormément. Donc visiblement il y a du chemin à faire. Je vais vite réaliser que tout le livre et tous les propos en dehors du livre ont ce goût là, de nana qui parle de féminisme mais qui, en réalité, n'est pas très renseignée sur le sujet. Il n'y a aucune humilité, elle écrit à tort et à travers sans se poser de question et avec l'aplomb d'une donneuse de leçons. Par exemple Elle a reconnu dans une interview que lorsqu'elle a écrit le livre elle ne connaissait pas le terme de "cis", elle l'a appris grâce à twitter. C'est bien la seule fois où je l'ai vu reconnaitre quelque chose, d'ordinaire elle envoie promener les gens, comme lors d'un échange sur twitter où elle avait répondu qu'elle s'en foutait de savoir pourquoi il n'y avait pas de protagonistes non-blancs dans la série Girls. Ne pas connaître le terme de "cis" est un privilège, ça signifie simplement que le mot dont on dispose pour se définir par rapport aux personnes trans c'est « normale ». Je pense qu'on a tous entendu ou dit ce mot dans ce sens là et je pense qu'on peut changer ça, encore faut-il le vouloir. Il y a de l'espoir, c'est mon opinion à ce stade de la lecture, même si elle ne part pas avec de bonnes dispositions peut-être est-elle capable d'apprendre ?

Je ne dis pas que se définir comme féministe exige d'avoir lu Simone de Beauvoir, Virginia Woolf ou Angela Davis, non. Vouloir l'égalité, se rendre compte qu'elle n'est pas là de fait suffit largement, il n'y a pas de concours d'entrée et c'est très bien comme ça. Mais quand on veut donner au féminisme une image qui se veut plus cool et détendue, le mieux serait tout de même de ne pas exclure la moitié des femmes au passage. Ce dont Caitlin Moran nous parle ne concerne qu'une partie des femmes, celle qui effectivement pourrait se permettre de rigoler un peu parce qu'elle reste quand même très privilégiée. Caitlin Moran nous parle des femmes blanches cis valides et hétéros. Ce livre aurait dû s'appeler « How to be a white cisgender heterosexual woman » et se contenter de ne parler que de ça. Pour ce qui est de la question de classe, élevée dans une famille vivant des aides sociales, Moran entre par la suite dans la classe moyenne qui lui permet d'étaler un certain nombre de clichés féminins comme la possession de chaussures à talon qu'elle ne porte jamais...

Morceaux choisis

Je vais donc m'appliquer à dresser une liste non-exhaustive des passages du livre qui m'ont fait tiquer. Je pense que les exemples sont assez parlant pour donner une vue d'ensemble de tout ce qui est problématique chez les féministes dites féministes™. Qu'est-ce qu'une féministe­™ pourriez-vous me demander ? C'est une féministe dont le discours est régulièrement relayé par les médias (ici l'auteure est elle-même journaliste). Ce discours va dans le sens du poil de ce qu'on veut bien entendre du féminisme : il s'agit généralement de positions prises contre le voile et la prostitution par exemple ou de protéger les femmes bafouées en Etrangie parce que nous franchement ça va on n'est pas sexistes. C'est un féminisme principalement composé de femmes blanches cis hétéros valides... bon je me répète mais vous comprenez donc le lien avec l'ouvrage dont il est question ici. Si vous avez le malheur de les reprendre sur certaines choses, elles vous diront par exemple que pour faire comprendre le féminisme au monde entier on peut bien prendre des raccourcis, autrement dit se passer d'un certain nombre de gens. Elles se défendront d'être lesbiennes, moches, grosses ou poilues et d'être associées à ces hystériques extrémistes que tout le monde pointe du doigt. Elles vous conseillerons également de brosser les hommes dans le sens du poil en insistant sur le fait que le féminisme n'est pas contre les hommes, qu'il s'agit d'égalité dans les deux sens. Elles ne prennent pas toujours en compte les rapports de domination et vont également considérer qu'il faut donner une bonne image de la femme, une bonne image du féminisme comme les hommes donnent une bonne image de l'homme... ah non pardon c'est juste pour nous. C'est la révolution mais pas trop en somme. Ajouter des injonctions contradictoires aux injonctions contradictoires du patriarcat est un hobby du féminisme™ ! On commence avec les poils, voyons ce que l'autrice va nous dire à ce sujet...


Les poils

La première chose que j'ai noté, dans le chapitre concernant les poils... c'est que Caitlin Moran fait une différence entre les poils pubiens et les autres poils des femmes. En ce qui concerne les autres :

«what happens to them and why is wholly different»
ce qu'on en fait et pourquoi on le fait est complètement différent

Selon elle, la mode de l'épilation intégrale du pubis (profitons-en pour rappeler que pubis =/= femme) vient de l'industrie pornographique et que si elle a une utilité c'est celle de la visibilité ! On voit mieux le pubis à l'écran s'il est épilé, autrement dit si ce n'est pas pour du porno, l'épilation de votre pubis n'a aucun intérêt. Il n'est pas question de choix ici, on vous dit que ça n'est pas la peine, point. Mais pour les poils des bras et des jambes ce ne serait pas la même chose, au nom de quoi je ne saisis pas vraiment : parce qu'un pénis ne rentre pas dans une aisselle et du coup le porno ne peut pas exiger qu'on le rase ce qui rend socialement acceptable le fait de se raser à cet endroit ? Oui, j'avoue moi aussi je trouve ce raisonnement absurde. C'est ignorer qu'il existe un traitement différent entre le poil chez les hommes et les femmes et qu'on apprend à la femme que le poil c'est intolérable là où chez l'homme c'est viril. Non, ce n'est pas dans ce livre que vous trouverez une réflexion de ce type : continuez de vous épiler partout ailleurs mais pas le pubis parce que ça ne sert à rien, ajoutez une injonction contradictoire aux injonctions que vous subissez déjà, on n'en a jamais assez ! Moran nous prévient qu'il y a des femmes à qui la moustache va bien et d'autres non, débrouillez-vous avec ça pour savoir si vous pouvez être validée ou non par la journaliste, elle a l'air de savoir ça mieux que vous-même.

La culture du viol

Un petit point « culture du viol » lorsque Moran parle du mot qu'elle utilisera et qu'il faut donc choisir pour parler du vagin. Pas pour désigner le sien mais de celui de sa fille. Pourquoi évoquer ceci me direz-vous, je vous laisse découvrir la réponse à cette question :

«We could call it Herbie. And when she reaches adolescence, and goes boy-crazy, we can say « Herbie Goes Bananas » to each other over and over again, as you build the doorless turret we can lock her in.»
On pourrait l'appeler « Herbie » -cf le film La Coccinelle-. Et quand elle sera adolescente et qu'elle s'intéressera aux garçons, on pourra se dire entre nous «Herbie devient folle» -à nouveau référence au film La Coccinelle à Mexico en version originale- et le répéter tout en construisant la tour sans porte dans laquelle nous l'enfermerons.

Notons l'hétéronomativité de la chose, toute féministe qu'elle est, Moran imagine déjà que sa fille deviendra forcément « boy-crazy » !

Un vagin sinon rien

Pour Moran le vagin doit avoir un nom car son importance dans la vie d'une femme est capitale...

«the epicentre of most of your decisions and thought processes for the next 40 years»
l'épicentre de la plupart de vos décisions et de votre façon de penser pour les 40 prochaines années

Un petit coucou aux asexuels, demi-sexuels et autres personnes non concernées (qui pensent avec autre chose que leur chatte quoi) qui nous lisent ?

Dans un autre registre, probablement le passage le plus évidemment cissexiste du livre. Mesdames si vous n'avez pas de vagin je suis désolée mais vous n'êtes pas féministe ! 

«a) Do you have a vagina ?
b) Do you want to be in charge of it ?
If you said 'yes' to both, then congratulations ! You're a feminist.»
(a) Avez-vous un vagin ?
b) Souhaitez-vous en avoir la responsabilité ?
Si vous avez répondu 'oui' à ces deux questions alors félicitations! Vous êtes une féministe !

 On pourrait chipoter et prétendre que ce que Moran veut dire c'est que les personnes qui ont un vagin ont tout intérêt à se déclarer féministe. Certes, mais l'amalgame "vagin" = nécessairement "femme" est un peu trop récurrent dans le féminisme mainstream pour que cette hypothèse soit crédible. Le féminisme comme évidence d'accord, mais pourquoi ces deux questions là qui parlent d'une partie d'un corps et non des individus comme ils s'identifient ? Et pourquoi se focaliser sur les personnes ayant un vagin si le combat féministe est avant tout un combat de femmes ? Pourquoi ne pas se focaliser plutôt sur les femmes ? Défendre le droit des personnes à disposer de leur corps est d'une importance fondamentale, il concerne le féminisme mais pas seulement ! D'autre part si on répond "non" à la première question, j'imagine qu'à la lecture de la conclusion on doit ressenti un certain malaise en tant que femme, malaise récurrent de l'exclusion de la lutte. Pour éviter ce genre d'écueils à l'avenir merci de dissocier corps et genre de façon claire et d'inclure toutes les femmes dans le féminisme.

Islamophobie, sexisme et contradictions

Si vous débutez en féminisme, il se peut que vous ne perceviez pas le racisme et le sexisme qui s'allient dans l'islamophobie. Je ne peux que vous recommander de vous rendre sur le site de Radiorageuses et d'écouter les émissions consacrées à ce thème et au racisme d'Etat. L'équipe de DégenréEs a fait un travail remarquable là dessus, ça vaut la peine d'y jeter une oreille à l'occasion. Dans How to be a Woman, on nous fait comprendre que si les hommes ne portent pas le voile alors les femmes ne devraient pas avoir à le faire...

«It was the 'are the boys doing it ?' basis on which I finally decided I was against women wearing burkas.»
C'est la question 'est-ce que les garçons le font ?' qui me permit de décider que finalement j'étais contre les femmes qui portent la burqa.

Rappelons que majoritairement, les hommes ne portent pas de maquillage ou de jupe/robe/décolleté/soutien-gorge/talons... tu vois le problème de ton raisonnement ou toujours pas ? Moran précise que si les femmes portent le voile quand elles sont seules chez elles alors c'est acceptable. Je ne porte pas de maquillage quand je suis seule chez moi, cela signifie-t-il que je dois arrêter de me maquiller quand je sors ? Pour finir on notera la formulation être "contre les femmes" quand on est soi-disant féministe, c'est quand même pas de bol ! Attention, à suivre un petit passage croustillant de condescendance :

«My politeness accepts your choice» (si tu portes le voile quand tu es toute seule)
Ma politesse accepte ton choix.

Ce qui me fait penser que Moran n'a pas tout à fait poussé la porte du féminisme et qu'elle doit essayer de regarder par le trou de la serrure avec difficulté c'est qu'elle conclut le chapitre en disant exactement l'inverse de ce qu'elle vient de professer et Paf ! Ça fait des chocapics :

«Because the purpose of feminism isn't to make a particular type of woman. The idea that there are inherently wrong and inherently right 'types' of women is what's screwed feminism for so long»
Parce que le but du féminisme n'est pas de créer un type particulier de femme. L'idée qu'il existe des 'types' de femme intrinsèquement bons ou mauvais est ce qui a foutu en l'air le féminisme pendant si longtemps

Grossophobie

Ai-je vraiment besoin de commenter ça ? Je m'octroie une dispense.

«My fat days were when I was not human shaped.» «I wasn't a woman.»
Ma période grosse a eu lieu lorsque je n'avais pas forme humaine. Je n'étais pas une femme.

«He also gets me on ten Silk Cut a day which leaves me no money for lunch – useful.»
Je fume aussi dix cigarettes par jour à cause de lui ce qui ne me laisse aucune monnaie pour le déjeuner – pratique.

«These people aren't 'fat' – they are simply... lavish.»
Ces personnes ne sont pas « grosses », elles sont simplement... généreuses.

Ah si, ça je veux bien le commenter, les personnes grosses sont celles qui ne s'acceptent pas, si tu t'acceptes tu deviens automatiquement "généreuse", parce que "grosse" c'est pas joli comme mot. Oui, elle va chercher loin ses idées pour refouler sa grossophobie mais ça se voit encore un peu quand même.

Surprise : le sexisme outrancier n'a pas disparu... ?

«I asked on Twitter if anyone had experienced any outrageous sexism recently, and whilst I was expecting quite a few amusingly stereotyped clangers, I wasn't expecting the deluge that started 30 seconds after I inquired, and which carried on for nearly four days afterwards.»
J'ai demandé sur Twitter si quelqu'un avait subi un sexisme outrancier récemment, et si je m'attendais à quelques gaffes stéréotypées amusantes, je n'avais pas imaginé le déluge qui commença 30 secondes après ma question, et qui continua pendant environ quatre jours.

Malgré ce rappel à la réalité, la journaliste nous parle avec nostalgie des mecs qui crient « titties » (tétons) quand elle arrive quelque part... de sexisme qui ne se cache pas sous l'ironie, oubliant que ces deux formes de sexisme sont encore très répandues ! Il y a un sérieux problème pour connecter ces informations apparemment :

«old-fashioned sexism […] I miss it.»
le sexisme vieux jeu […] ça me manque.

Au pays des bisounours

Tout le monde il est beau, gentil et bien intentionné. On ne doit pas vivre sur la même planète.

«The idea that we're all, at the end of the day, just a bunch of well-meaning schlumps, trying to get along, is the basic alpha and omega of my world view.»
L'idée que nous sommes tous, au bout du compte, une bande de maladroits bienveillants, essayant de s'entendre, est l'alpha et l'omega de ma vision du monde.

De l'importance de connaître l'Histoire et de lire Virginia Woolf

«We have no Mozart ; no Einstein ; no Galileo […] It just didn't happen.»
Nous n'avons pas de Mozart, pas d'Einstein, pas de Galilée […] ça n'a simplement pas eu lieu.

Dans "A Room of One's Own" (Une chambre à soi en français) Virginia Woolf explique pourquoi les femmes sont absentes d'une partie importante de l'Histoire : la première raison c'est qu'elles n'ont pas la possibilité de participer, elle prend pour cela l'exemple d'une soeur de Shakespeare qui aurait été aussi talentueuse que lui mais qui n'aurait jamais pu écrire la moindre ligne car étant une femme. L'autre raison, celle qui aujourd'hui fait qu'on s'interroge sur les manuels scolaires par exemple, c'est que même lorsqu'il y a production d'oeuvre ou d'invention, l'Histoire décide que ça n'est pas aussi important que ce qu'ont fait les hommes et les passe sous silence ou les mentionne en tant que "compagnes" ou "soeurs" de. Encore une fois je considère qu'être féministe ce n'est pas avoir lu les féministes mais quand on écrit à propos de l'Histoire, qu'on se prétend féministe et qu'on déclare que les femmes n'ont rien fait, peut-être qu'au lieu d'écrire on ferait bien de commencer à lire.

Laissons-nous guider par les hommes, ils savent !

«My husband teaches me more about the bullshit men project on women than any woman ever does.»
Mon mari m'en apprend plus au sujet de ces conneries que les mecs projettent sur les femmes qu'aucune femme ne le fait jamais.

Et l'avis des hommes est primordial, leur confort visuel est important :

«most men distrust, and even dislike a heel.»
la plupart des hommes n'a pas confiance, voire n'aime pas les talons.

«A chick in heels makes a man feel shorter. In man terms, this is like making a lady feel fatter. They don't like it.»
Une nana en talons fait que l'homme se sent plus petit. En termes masculins, c'est comme faire qu'une femme se sente plus grosse. Ils n'aiment pas ça. (raison numéro 1 pour laquelle les talons c'est pas bien, non sans déconner c'est vraiment numéro 1 dans le classement je n'ironise pas !)

Homophobie ordinaire

«the natural ally of the straight woman is the gay man.»
L'allié naturel de la femme hétéro est l'homme gay.

Je ne m'attarde pas ici, je pensais que ce préjugé était l'apanage des années 2000 mais visiblement il a la vie dure. Les hommes gays sont donc dispensés à vie de sexisme et nécessairement alliés du féminisme. Moran m'épate dans son ignorance des sujets qu'elle aborde. J'imagine qu'elle pense aussi que les femmes ne peuvent pas être sexistes ? Et pourquoi diable en revenir sans cesse à la sacro-sainte nature ! Qu'est-ce qu'il y a de naturel dans ce préjugé ? Je pense qu'on peut difficilement trouver phénomène plus socialement construit que celui là quand dans les magazines de mode et autres séries américaines il est toujours de bon ton d'avoir un meilleur ami gay !

Sexisme à l'encontre des strip-teaseuses

Curieusement, l'écrivaine n'aborde nulle part le sujet de la prostitution mais on peut deviner sa position assez facilement en lisant le chapitre dédié aux clubs de strip-teases et de lap-dance : cachez ce milieu que je ne saurais voir.

«But what are strip clubs, and lap-dancing clubs if not 'light entertainment' versions of the entire history of misogyny ?»
Mais que sont les clubs de strip-tease et de lap-dance si ce ne sont des versions de 'divertissement' de l'histoire entière de la misogynie ?
C'est vrai que le reste du monde est tellement dénué de misogynie (sic), tout se concentre dans ces endroits là apparemment. C'est parti pour la croisade !

«Are we really saying that strip clubs are just wonderful charities that allow women – well, the pretty, thin ones anyway : presumably the fatter, plainer ones have to do whatever it is all the males students are also doing – to get degrees ? I can't believe women supposedly in further education are that stupid.»
Est-on vraiment en train de dire que les clubs de strip-tease sont des organismes de bienfaisance qui permettent aux femmes, enfin les jolies et minces en tout cas, on présume que les plus grosses ou moches doivent faire ce que font les étudiants hommes font également, pour obtenir un diplôme ? Je ne peux pas croire que les femmes qui font soi-disant des études supérieures soient aussi stupides.

On aurait pu avoir un point de vue intéressant sur la normalisation des corps, sur l'érotisation systématique du corps des femmes pour le désir masculin, on y était presque, au lieu de ça on dit que les hommes et les femmes (moches) sont plus intègres et respectables et on crache sur celles qui essaient de survivre et de réussir leur études comme elles le peuvent, bien vu le féminisme.

«Girls, get the fuck off the podium – you're letting us all down.»
Les filles, descendez du podium, vous nous laissez toutes tomber.

«Because inside them, no one's having fun
Parce qu'à l'intérieur personne ne s'amuse.

«The women hate the men.»
Ces femmes détestent les hommes. (parce que les strip-teaseuses font leur numéro plusieurs fois)

«Let's take our women off the poles.»
Faisons descendre nos femmes des barres de pole-dance

Voilà, c'était le point paternaliste et "je parle à la place des strip-teaseuses donc je sais". Page suivante : mais en fait le strip-tease ou le pole-dance ce n'est pas mauvais en soi, c'est bien si on le fait pour s'amuser (page précédente : il faut fermer les clubs de strip-tease... cohérence)
Suite : apologie du burlesque.

«it doesn't have the oddly aggressive, humourless air of the strip club»
Ça n'a pas ce côté singulièrement agressif et dénué d'humour qu'a le club de strip-tease (donc si le confort de madame y trouve son compte ça va)

«Because, most importantly, burlesque clubs feel like a place for girls.»
Car, plus important, les clubs burlesques ressemblent à un endroit pour les filles.

Autre point intéressant : une femme qui se sert du patriarcat pour réussir est une collabo nazie, rien que ça :
«Women who, in a sexist world, pander to sexism to make their fortune are Vichy France with tits.»
Les femmes qui, dans un monde sexiste, se servent du sexisme pour arriver à leurs fins sont la France de Vichy avec des seins. 
Si tu fais face à une difficulté due au sexisme et que tu es une personne forte tu ne te plains pas, c'est comme ça que Moran voit les choses. Les personnes fortes ne peuvent apparemment pas être des victimes du sexisme. Les femmes de footballeurs non plus n'ont pas le droit de se plaindre d'être trompées car elles sont là seulement pour leur physique et qu'elles le savent, elles n'avaient qu'à miser sur autre chose.

J'aimerais m'attarder là dessus parce qu'on peut effectivement penser que les femmes qui se servent du sexisme pour arriver à leurs fins jouent contre nous alors pourquoi ça n'est pas le cas ? D'abord parce qu'il me semble qu'on ne peut pas pointer du doigt les femmes quand tout un système les place comme perdantes d'avance. Je prendrais l'exemple d'une femme un tant soit peu ambitieuse dans une entreprise, qui réalise qu'il n'y a que des hommes cadres autour d'elle et pour qui l'opportunité se présente de coucher avec son patron pour monter en grade. Quels sont les choix qui s'offrent à elle ? Si elle refuse elle garde sa réputation intacte mais elle reste également à sa place, si elle accepte elle sera jugée non seulement par les hommes mais également par les femmes parce que coucher pour obtenir une promotion c'est mal, seulement elle aura le poste qu'elle convoite. Dans tous les cas la femme est perdante soit sur le plan de sa carrière soit sur le plan de la morale contradictoire qu'impose le patriarcat. Quand on pointe ces femmes du doigt, on ne pointe pas le système qui rend ces situations possibles et on se trompe donc de coupable. Non seulement ça mais en plus, au nom du "féminisme" on laisse encore d'autres femmes sur le bas côté au lieu de les prendre en compte comme victimes du patriarcat.

La superficialité inhérente aux femmes et condamnable

Sur le mariage, pas de réflexion sur l'éducation des petites filles, l'influence culturelle ou la pression sociale, nada :

«weddings are our fault, ladies»
 les mariages sont notre faute les filles

Même chose au sujet des escarpins qu'on doit porter quand on est une femme, la conclusion de Moran c'est qu'il existe très peu de femmes qui peuvent marcher avec, pourtant il ne s'agit pas vraiment de questionner une injonction ici non plus, ça semble naturel et on en profite pour rajouter une couche de cissexisme indispensable :
«They are a non-negotiable part of being a woman, along with the potential to lactate, and the XX chromosome.»
Ce sont des choses non négociables quand on est une femme, comme la capacité à produire du lait et le chromosome XX.

Germaine Greer

Je serai brève à ce sujet, Germaine Greer apparait comme l'idole absolue de Caitlin Moran. A nouveau au lieu de combattre ses contradictions elle dit en début de livre que c'est une personnalité problématique et transphobe (vous imaginez si même pour Moran c'est évident... brrr !), ce qui ne l'empêche pas de faire référence à elle en tant que déesse absolue tout le long du livre ! Peut-être faut-il chercher la cohérence dans le fait que Moran elle-même est problématique mais que ça ne la dérange pas outre mesure ?

Les pop stars blanches, ces modèles d'égalité

Les femmes arrivent enfin à une véritable égalité selon Moran... la preuve ? Madonna sort avec des hommes plus jeunes et on a Lindsay Lohan et Britney Spears qui sont devenues célèbres très jeunes et font n'importe quoi de leurs vies.

« You don't penetrate Gaga » 
On ne pénètre pas Gaga, la pénétration, ce truc avilissant que tu ne peux pas faire avec une femme bien. Gaga va sauver le monde et la prochaine génération d'adolescentes sera immunisée face aux oppressions grâce à elle :

« it's going to be very difficult to oppress a generation of teenage girls who've grown up with a liberal literate bisexual popstar who shoots fireworks out of her bra and was listed as Forbe's magazine's seventh most Powerful Celebrity in the World.» Il sera très difficile d'oppresser une génération d'adolescentes qui ont grandi avec une pop-star bisexuelle libérale et lettrée qui tire des feux d'artifices avec son soutien-gorge et a été nommée septième célébrité la plus puissante du monde par le magazine Forbe.

LOL ! Un petit détail sûrement insignifiant mais pas de modèles non-blanches pour nos ados, étrangement ça n'existe pas dans le monde merveilleux de Moran...

Ce livre m'a tellement énervée que j'ai écrit mes réactions à chaud sur le livre lui-même, c'est ce qui fait que j'ai repoussé cette critique encore et encore parce que je n'avais pas vraiment envie de me replonger dans ces notes. Et puis c'est long, j'ai préféré ne mettre que l'essentiel de ces propos nauséabonds, il en reste encore un paquet ! La seule chose sur laquelle je n'ai rien à dire sont les chapitres concernant la maternité, le désir d'enfant (ou l'absence de désir d'enfant) et l'avortement, là rien ne m'a paru choquant ou déplacé, rien de fondamentalement anti-féministe. Il est très facile de passer à côté de tous les problèmes que pose ce livre dans le sens où il nous aborde comme une copine à qui on fait des blagues et avec qui on a envie de se marrer : "allez viens je vais te dire des horreurs mais comme c'est de l'humour ça va passer crème !", c'est un piège qu'on n'évite pas forcément quand on est encore bébé féministe et ça le rend d'autant plus dangereux. C'est justement pour ça que ça marche autant : parce que l'idée du féminisme que la plupart des gens sont prêts à accepter c'est celle d'un combat quasi terminé dont on peut rigoler et qui ne secoue pas les bases sur lesquelles la société est construite. Allez, fais pas ta féministe coincée, après tout on a le droit de vote, viens pas nous parler de culture du viol ou d'agressions tu vas gâcher l'ambiance ! Ce féminisme qui se veut rassurant et joyeux est à mon avis autant à combattre que le patriarcat lui-même, efforçons-nous de mettre à jour ce qu'il veut passer sous silence parce que ça n'est pas assez branché pour lui.

lundi 14 avril 2014

[Hors-série pas ronchon] Tori Amos, une chanteuse féministe qu'elle est bien.

Voilà enfin mon article sur Tori Amos ! Il se trouve que je vais pouvoir assister à un concert de la chanteuse le mois prochain, j'attends ça depuis trèèèès longtemps alors je suis évidemment impatiente et je me demande dans quel état je serai lors du meet & greet !
Cet article est dédié à ma chère LN ♥ ainsi qu'à tous les curieux que j'espère convaincre de découvrir cet univers musical vraiment à part.



Vous la connaissez peut-être déjà...

Connaissez-vous cette chanteuse Américaine à la chevelure rousse (ou rouge, c'est selon) ? Mais si, bien sûr que vous la connaissez ! En tout cas vous connaissez au moins cette chanson là (son refrain plus précisément) :


Non, toujours pas ? Je connais Crucify depuis toute petite mais dans tous les cas, ma passion pour cette grande dame s'est révélée grâce à une reprise pour laquelle elle est aussi connue, celle de Smells Like Teen Spirit de Nirvana :


Pourquoi j'adore Tori Amos.

La reprise de Nirvana c'est un début, mais on est encore bien loin d’effleurer la complexité de l'univers de Tori Amos. Les faits sont là : je ne connais à ce jour aucun auteur, compositeur interprète qui soit à la fois engagé et littéraire mais également influencé par les arts visuels/plastiques, toutes les formes de religions existantes et qui parle d'identités et d'histoire comme elle le fait. Je suis athée et pourtant la spiritualité multi-facettes d'Amos me touche énormément. Je ne suis pas particulièrement patriote et pourtant son encrage dans les racines des Etats-Unis me fascine (ses origines cherokee entre autres). Sa folie aussi est touchante, cette capacité à entrer en transe, à crier sa rage, même si elle s'est beaucoup assagie ces dernières années, l'émotion en concert qui semble être une véritable communion entre la chanteuse et ceux qu'elle appelle les « ears with feet », ses fans.
Les thèmes abordés, la voix, la polyvalence (cf la comédie musicale The Light Princess par exemple !) le piano pour instrument principal alors qu'on lui avait dit "That girl with the piano thing it's not going to work", l'engagement et un génie musical assez frappant (elle joue parfois sur trois claviers différents sur un même titre sans aucun problème ou croise les mains histoire de...) voilà un résumé de tout ce qui me plait chez Amos.

Going for a little hunt, partir à la chasse aux interprétations.

 (c'est du Tori Amos, tu pourrais pas comprendre)

La façon dont Amos construit son univers est si particulier qu'elle a publié un livre où il n'est question que de ça ou presque (Piece by Piece). Il y a toujours au moins deux voix à entendre chez elle et même ce livre a été co-écrit avec la journaliste Ann Powers. Il y a le temps de la naissance d'une chanson, le temps où Amos y met ce qu'elle ressent et puis la chanteuse parle d'une deuxième vie, d'un moment où ses chansons vivent autre chose avec des gens qu'elle ne connaît pas, nous, ses auditeurs.
Les chansons parlent de sujets sensibles : masturbation féminine, viol, inceste, perte d'êtres chers, excision... nombreux sont les fans qui ont trouvé de l'aide dans cette musique et dans ces mots.

Les chansons d'Amos sont pour moi avant tout de la poésie. Elle nous invite à chercher des indices et à tirer nos propres conclusions face aux images parfois très vagues qu'elle nous donne à travers ses chansons. On n'est pas souvent certain de savoir de qui ou de quoi il est question, il y a des chansons plus explicites que d'autres et en tant que littéraire je prends plaisir à me demander à chaque nouvelle écoute « et si elle parlait de ça en fait ? » et à chercher d'autres clefs pour appuyer ma théorie. C'est d'ailleurs pour cette raison que mon mémoire de Master 1 a été une vaine tentative de décrypter son œuvre. Je me suis un peu éparpillée tellement il y a de choses à dire sur cette artiste qu'au final c'était plus un patchwork d'idées qu'un travail de recherche scientifique. Mon objectivité est également en cause dans cette affaire, Tori Amos ne se contentant pas de mobiliser mon cerveau...
 
Le féminisme de Tori Amos

Mon propre féminisme s'est forgé à l'écoute de l’œuvre de Tori Amos et surtout à l'écoute des différentes interviews qu'elle a pu donner à ce sujet. Je pourrais passer des heures à l'écouter parler sans jamais me lasser. L'une des principales figures utilisées par la chanteuse comme étendard est celle de Marie-Madeleine. C'est en effet le symbole de ce qu'Amos n'a de cesse de dénoncer : la femme est soit vierge soit putain, il ne peut y avoir de réconciliation entre ces deux Marie là. De là découle tout un discours religieux contre la masturbation (dont il est question dans la chanson Icicle dans laquelle elle dit qu'il doit manquer des pages dans la Bible à ce sujet) et l'impossibilité d'être à la fois sensuelle et amoureuse. Voici un extrait que je trouve très parlant (c'est en anglais mais je pense que c'est assez accessible).


Tori dit être née féministe. Je ne pense pas pour autant qu'elle contredise les propos de Simone de Beauvoir ("on ne naît pas femme, on le devient") mais je pense qu'elle fait référence au fait que dans le contexte dans lequel elle est née, elle n'avait pas d'autre choix que de le devenir et de se rendre compte très tôt des problèmes auxquels il faut faire face en tant que femme. Son père étant un révérend de l'église méthodiste, Tori a perçu les failles de l'enseignement religieux et son émancipation est aussi passée par la musique car dès que papa avait le dos tourné, on écoutait ce qui était d'ordinaire interdit à la maison, à commencer par Robert Plant et les Beatles !

Idées en vrac que je trouve absolument géniales.

Dans l'album Scarlet's Walk, on fait le tour des Etats-Unis après le 11 septembre. Dans le livret il y a une carte des Etats-Unis et chaque chanson représente un bout du chemin parcouru.

Dans l'album best of Tales of a Librarian, les chansons sont classées comme en bibliothèque, suivant la classification décimale de Dewey.

Les clins d’œil récurrents dans les œuvres de l'un comme de l'autre entre Tori Amos et l'écrivain britannique Neil Gaiman. La collaboration même, voir l'album Strange Little Girls où Amos utilise différents personnages pour reprendre des chansons dont les interprètes d'origine sont masculins.

L'utilisation de la persona : comme les poètes, Amos se dédouble. Pour l'album American Doll Posse, elle invente Pip, Santa, Isabel et Clyde qui ont chacune leur personnalité et leur apparence propre. Tous ses personnages tiennent un blog chacun et lors de la tournée, Tori apparait sous les traits d'une persona en particulier selon l'humeur du moment.

 (un fan-art représentant les différentes dolls et Tori pour qui la position de "storyteller" est toujours importante)

Quelques chansons pour terminer...

Winter est une chanson qui parle de l'enfance et de la relation avec son père, je trouve que c'est sa plus belle ballade.


Bliss, une chanson que j'aime beaucoup également mais ici il est plutôt question de vous montrer l'euphorie des concerts, ça donne envie, non ?

Tori a souvent été surnommée la "Cornflake Girl" à cause du titre de cette chanson. En réalité, les gens qui utilisent ce nom l'ont-ils vraiment écoutée ? "Never was a Cornflake Girl..." la chanteuse nous explique qu'elle traîne plutôt avec les "Raisins Girls" qui sont plus difficiles à trouver, les paroles faisant référence à "Possessing the Secret of Joy" d'Alice Walker et évoquant l'excision.

Me and a Gun est une chanson que j'ai beaucoup de mal à écouter. Elle est vraiment très belle mais aussi très douloureuse. Écrite après le visionnage du film Thelma et Louise, elle parle du viol qu'elle a subit après un concert et de ces choses qui peuvent alors vous traverser l'esprit pour survivre. C'est aussi un plaidoyer anti culture du viol puisqu'elle précise qu'être habillée sexy ne signifie pas avoir envie de coucher.

Precious Things est probablement ma chanson préférée. Elle est très torturée et m'évoque des souvenirs d'adolescence pénibles et ce sentiment d'être à part quoi qu'on fasse. Je me reconnais particulièrement dans le fait de remercier les gens qui vous font des compliments même s'ils vous disent ensuite que vous n'êtes pas belle même si j'ai du mal à imaginer Tori dans cette situation : "He said you're really an ugly girl but I like the way you play... and I died but I thanked him, can you believe that". Cette chanson contient aussi l'excellente punchline "So you can make me cum that doesn't make you Jesus". Fait intéressant à noter (mais pas ici) : dans la plupart des prestations, la caméra se détourne volontairement de Tori au moment d'un certain "Giiiiiiirrl !" car elle se touche le sexe... bizarre non ?

 Et enfin, Spark, encore une chanson douloureuse (je trouve que ce sont les plus percutantes). Tori Amos a subi plusieurs fausses couches avant d'avoir l'adorable Natashya (dite Tash) et en a évidemment beaucoup souffert, c'est ce dont il est question dans cette chanson. J'aime aussi beaucoup ce clip. "If the divine master plan is perfection, maybe next I'll give Judas a try".

Il y a encore énormément de chansons que j'aimerais vous présenter mais je vais m'arrêter là, si vous arrivez à écouter et regarder tout ça déjà je pense que je m'estimerai pleinement heureuse :)

mardi 25 février 2014

Mon combat n'est pas une insulte.

Mon combat n'est pas une insulte.

Après cette loonnngue journée dans la ville de Lincoln, je n'attendais qu'une chose : qu'il soit suffisamment tard pour aller me coucher sans avoir peur de me réveiller trop tôt le lendemain. 3615 je te raconte ma life. Je suis finalement tombée sur quelques messages sur facebook, d'une amie très chère dénigrant totalement mon combat.
Et forcément après ça difficile d'aller se coucher vous pensez bien, donc je vais écrire ce que je pense de tout ça, ça fait trop mal et ça sonne trop faux pour que je laisse passer. Je vais essayer de faire court pour aller me reposer un peu quand même !

Beaucoup de gens sont d'accord avec les idées du féminisme sans s'en rendre compte. Ils sont d'accord pour constater les différences de salaire et le sexisme, d'accord pour constater le harcèlement de rue voire même d'admettre que les victimes de viol sont principalement des femmes et qu'on les accuse de choses et d'autres, niant ainsi leur statut de victime. Certains, plus rares, se rendent compte de l'existence d'une culture du viol, d'un mépris pour ce statut même de « victime » puisque quand les femmes se plaignent de quelque chose, elles « se victimisent » et ne se battent donc pas correctement contre ces « individus isolés »... bref, on peut nier le problème et regarder ailleurs très facilement, vous l'aurez compris. Donc on en est là : oui, beaucoup de gens se rendent compte des choses mais alors n'allez surtout pas les traiter de féministes, insulte suprême.

Le féminisme, cachez ce gros mot que je ne saurais voir...

Quel est l'intérêt de dénigrer le combat des féministes ? Ou celui de se demander si on ne ferait pas mieux d'utiliser un autre mot comme « égalitarisme » à la place ? Ou pas de mot du tout ? Un mouvement créé par des femmes, pensé par des femmes et qui se propose de véritablement avancer vers l'égalité est-il vraiment si menaçant pour votre petit confort, vous qui ne militez pas et qui, vous le dites aussi, n'avez pas besoin du féminisme ? S'il vous plaît, laissez aux féministes le droit de penser leur combat comme elles l'entendent. Elles ne vous ont pas attendu pour dénoncer ceux qui veulent penser pour elles, décrier leur façon d'agir et leur montrer comment s'y prendre. Paternalisme vous avez dit ? Ou c'est aussi un mot tabou ?


« le mot « féminisme » est devenu péjoratif dans beaucoup de bouches »

ai-je lu aujourd'hui. Alors oui, bien, constatation intéressante ! On pourrait l'attribuer à beaucoup de choses mais est-ce la faute des féministes ? NON !
Je m'explique : premièrement le féminisme n'a pas de porte-parole, il n'est pas unique et se compose de plusieurs courants. Non, pas de simples querelles de clochers mais bien des courants de pensée différents. Vous trouvez « péjoratif » le féminisme en incluant tous ces courants, même ceux qui s'opposent ? Les connaissez-vous au moins ou bien ne connaissez-vous seulement que ceux dont on entend parler dans les médias, souvent les mêmes d'ailleurs. Ah bah mince, si maintenant on est obligé de savoir avant d'émettre un jugement...
Pas de porte-parole ça signifie aussi que ceux que l'on entend/voit à la télévision ou à la radio ne nous représentent pas. Je l'avais précisé dans mon premier article : le féminisme d'Isabelle Alonso n'est pas le mien, celui de Caroline Fourest et des Femen non plus.
D'autre part on ne valide pas une cause en fonction de l'image qu'en donnent ses militants mais parce qu'on est d'accord ou pas avec la cause en question ! Si on part du principe que la cause du féminisme c'est l'égalité entre les sexes, pourriez-vous m'expliquer comment une telle chose pourrait être péjorative ? Ou alors on en revient à la conclusion : les responsables de clichés et de préjugés ne sont pas les objets de ces préjugés mais ceux qui les construisent par leur ignorance. Il y a peu la manif' pour tous proposait de « protéger les stéréotypes de genre », protéger des stéréotypes, un sacré concept !

Le féminisme est-il vraiment « devenu » péjoratif dans beaucoup de bouches ?

Ou bien en a-t-il toujours été ainsi ? Dites-moi donc à quelle époque de notre belle planète a eu lieu l'âge d'or du féminisme, celui ou le féminisme était en vogue et que personne ne pensait à remettre en cause ou à accuser ses militantes d'être des hystériques irresponsables ?
Parce qu'unanimement (à part quelque Zemmour et compagnie) on s'accorde à trouver que le droit de vote et l'avortement sont des progrès, non ? Et croyez-vous que l'opinion publique à l'époque où ces combats étaient menés pensait que les féministes étaient dans leur droit ? Avons-nous acquis ces droits d'un simple claquement de doigts ou bien est-ce qu'il y a eu opposition ? Je pose la question parce qu'il semble que nous n'ayons pas la même vision de l'Histoire. En sachant cela, pourquoi ne pas brandir ce beau mot de « féminisme » au nez et à la barbe de tous, pourquoi ne pas en faire une fierté, un étendard de nos luttes présentes et continues puisqu'aujourd'hui encore on remet en question ces droits. Puisqu'aujourd'hui encore les droits des transexuels et des homosexuels sont soumis au bon vouloir des gouvernements et de cette opinion publique tellement favorable au féminisme qu'il est « devenu banal et cliché » comme j'ai pu le lire.


(tu te souviens quand les féministes pouvaient parler d'égalité sans être étiquetées "émasculatrices" ? Non ? La ferme Pepperidge non plus...)

Parlez avec des féministes, toutes vous diront que si elles pouvaient se passer du féminisme, elles le feraient. Un monde où on n'aurait pas besoin du féminisme, ça serait tellement reposant. En attendant, à l'université de Cambridge, la campagne "on a besoin du féminisme parce que..." a connu un franc succès, étrange pour un mouvement qui pointe du doigt des problèmes "qui n'existent pas"... (vous pouvez voir ça ici : http://www.cam.ac.uk/news/we-need-feminism-because)

Sur ce je vous invite aussi à lire l'excellent article suivant qui lie « genre » et « féminisme » et qui vous fera peut-être réaliser que si vous constatez qu'il y a genre c'est peut-être que vous constatez qu'il y a légitimité du féminisme... attention je vais loin, je suis folle, je suis crevée, je balance des trucs complètement guedins !
http://cafaitgenre.org/2014/02/25/genre-et-feminisme-pourquoi-vont-ils-de-pair/ 

Que ce soit clair une bonne fois pour toutes, n'ayez pas honte d'utiliser le mot de féminisme quand il est nécessaire !

samedi 15 février 2014

Je suis féministe depuis... au moins !

Ah, ça y est, j'ai enfin fini cet article (pour celleux qui l'attendaient). C'est bien, rappelez-moi quand je ne finis pas mes articles, ça me motive :)

Deuxième article et déjà le Ronchon Blog risque fort de se transformer en Ronron Blog (ou presque) puisqu'il va être question de remercier les gens grâce à qui j'ai parcouru tout ce chemin et avec qui je compte bien marcher encore un bon moment sur les sinueuses routes de la connaissance. Promis, la prochaine fois je ronchonne pour vos beaux yeux, on aura qu'à dire que c'est un hors-série prématuré. J'y peux rien, je suis sur mon nuage en ce moment. Mais lisez quand même, on ne sait jamais, ça pourrait être intéressant. Vous pourriez même être dedans.

***

La question qui va se poser ici pour moi n'est autre que le fameux : oui, mais par où commencer ? A partir de quand ai-je osé me considérer comme féministe ? Qu'est-ce qu'il y a eu avant ?

Je peux peut-être commencer par ronchonner tiens, à propos du terme « ronchon » justement ! C'est un mot que je trouve très péjoratif en fait. On dit de quelqu'un qu'il ronchonne quand il se plaint pour un rien, on a une image de ce dont il se plaint comme de quelque chose de superficiel et je n'ai pas du tout l'impression que c'est ce que je fais. Oui mais voilà, c'est aussi l'adjectif dont je me vois affectueusement affublée par l'une de mes twittos, Cécile, sans doute parce que je trouve plus souvent matière à râler qu'à m'émerveiller devant la beauté du monde... quoi que... la véritable « excuse » c'est que je n'avais pas d'inspiration pour le nom de mon blog et que celui-ci me semble assez pratique. Pratique dans le sens où j'essaie autant que faire se peut de garder un ton léger, de prendre du recul et de dédramatiser quand c'est possible ! Ça ne l'est pas toujours, hélas.

Ça c'est pour la genèse du titre de mon blog. Attaquons-nous à ma genèse de féministe maintenant.

Les cours de philosophie au lycée, ma super prof de philo d'alors et mon amie Liline.

Ayant toujours été étiquetée “intello” par ma famille malgré des résultats scolaires franchement dans la moyenne et même parfois en dessous, tout le monde m'a dit que j'allais adorer la philo au lycée ! Tout le monde a eu raison pour une fois... et pourtant les personnes n'ayant jamais fait de philo et condamnant absolument la chose sont légion par chez moi. Tiens, ça me fait penser à un autre truc qu'on condamne sans savoir ce que c'est...

(Je ne sais pas ce qu'est le féminisme mais j'y suis fermement opposé)

Cette comparaison me permet de dénoncer le fait que l'ignorance en milieu scolaire (voire plus loin dans la vie adulte) est considérée comme incroyablement cool, là où ceux qui réfléchissent sont chiants et infréquentables. C'est une chose qui a tendance à me pousser vers une certaine forme d'élitisme.

J'essaie de lutter contre cette envie d'exclure de ma vie tout ce qui est mainstream parce que c'est ce même milieu mainstream qui fait les choses superficiellement, qui glorifie l'ignorance et empêche la curiosité, l'originalité et la créativité de trouver leur place. Si je lutte contre mon préjugé c'est parce que malgré ça, on peut avoir besoin de passer par le mainstream pour découvrir quelque chose, que l'accessibilité peut ne pas être du nivellement par le bas, qu'on peut faire quelque chose pour tous et le faire bien. Je cherche des arguments, c'est vous dire si je ne suis, aujourd'hui encore, pas tout à fait convaincue par ces propos, mais je sais qu'il y a un certain mépris de classe dans le fait de dénigrer ce qui est accessible à tous et reconnaître ça, c'est reconnaître qu'il y a un problème dans ma façon de penser (moi qui pourtant suis loin d'être une bourgeoise, mais c'est une question d'accès à la culture etc... enfin tout ceci fera peut-être l'objet d'un autre article). Pour faire court je dirais que ma capacité de tolérance est plutôt limitée et que c'est un frein à ma quête de savoir, il me faut travailler là dessus. Mon amie Liline, rencontrée au lycée, est plus ouverte je pense et c'est aussi une personne avec qui j'ai débattu de sujets divers et variés comme la foi, l'amour, la liberté, l'instinct... ceci dit, pour ma défense, je déteste rarement quelque chose sans raison.

Bon, c'est quoi la philo alors ? La philo c'est ne pas tout prendre pour argent comptant. C'est déconstruire ce qui nous semble évident depuis toujours. Quand on a des convictions, se demander d'où elles viennent et si elles sont justes. Et si j'ai souvent entendu mon père dire que c'est complètement inutile sans qu'il n'en ai jamais fait, je trouve qu'il n'y a rien de plus faux. Si on ne pensait pas le monde, on ne ferait que le subir en continu. La révolution, la fin de l'esclavage, les droits des femmes, des homosexuels ? Pour quoi faire ? On va pas non plus réfléchir aux conséquences de nos actes, on a raison et puis c'est tout. Oh wait... subir le monde, c'est pas un truc qu'on cherche à nous présenter comme cool justement ? Bon, bah voilà, vous avez tout compris. Tout ça est très résumé bien sûr, il y a des millions de raisons pour lesquelles la philo est utile. Ensuite on pourrait discuter de l'utilité de l'utilité peut-être... si on réduit tout à l'utilité pratique dans l'absolu, la vie n'a aucun intérêt.
Par ce biais de déconstruction, je suis partie de la philo pour arriver au féminisme intersectionnel. C'est pour moi une suite logique, ayant toujours aimé me poser des questions et me remettre moi-même en cause. Je suis têtue mais les bons arguments font mouche parce que j'ai une capacité d'écoute dont je suis plutôt fière. En relisant des choses écrites au lycée, je me rends compte à quel point le féminisme allait apporter pas mal de réponses aux questions que je me posais et confirmer ce que je ne faisais que soupçonner. Le sexisme me sortait déjà de mes gonds, autant que le racisme ou l'homophobie d'ailleurs, je pressentais que cette colère était justifiée.

Lutter contre ma tendance à l'élitisme : mon amie Julie.

Je pense qu'elle sera surprise de se retrouver ici et pourtant elle y a toute sa place. Premièrement, parce qu'elle est la seule personne au monde dont je sois sûre qu'elle m'aime autant que je l'aime et c'est vraiment fondateur. En général, j'aime beaucoup trop les gens que j'aime, vraiment trop et tenir la comparaison avec cette démesure d'amour relève de l'exploit. L'amour de Julie tient la comparaison. Et pourtant, on n'est pas du tout parties sur de bonnes bases puisque j'étais dans une période de dépression à tendance fortement misanthrope quand on s'est rencontrées. Elle s'est pris plus d'un coup de griffe avant que je ne vienne ronronner à ses oreilles. Mais je m'égare. Ce que je veux dire ici c'est que Julie et moi avons deux visions du monde très différentes, deux personnalités très différentes. Et ce qu'il y a de bien c'est que lorsque ces visions se confrontent ou qu'elles semblent se confronter, on peut passer la nuit à en discuter (enfin c'est plus difficile maintenant avec la distance) jusqu'à se comprendre. Et jamais je ne me sens menacée d'un jugement implacable. Je suis sortie grandie des discussions que nous avons eu et elles continuent de me faire réfléchir aujourd'hui. Vous avez ce genre d'ami, vous ? Si oui, alors vous êtes chanceux.

Une autre facette de Julie qui me fascine c'est qu'elle lit absolument tout ce qui lui passe entre les mains et là où je m'offusque de toutes ces sorties de bouquins copies de Twilight et compagnie, elle va les dévorer pour savoir si vraiment c'est bien ou pas. Don't judge a book by its cover, c'est Julie. Et elle a bien raison quand elle dit que l'important c'est de lire, peu importe quoi, du moment qu'on lit.

Un pas de plus vers l'intersectionnalité, mes échanges avec la journaliste Audrey Pulvar.

Alors oui, je sais, récemment j'ai été super ronchon vis-à-vis d'Audrey Pulvar mais ceci mis à part, honnêtement, vous avez lu l'Enfant-bois ? Ce livre est un chef d’œuvre et pourtant je n'en avais pas entendu parler à sa sortie ! Je l'ai prêté et j'avoue qu'il me manque, même si je préfère le savoir entre des mains amies que dans un carton pour des années avec la majorité de mes livres, restés en France faute de véritable « chez moi »... En dehors de ça, mon cœur a cogné fort le jour où j'ai entendu son billet concernant Guerlain, je me suis sentie moins seule dans ce monde où personne ne s'offusquait alors que j'étais intérieurement en ébullition. Rendons à Pulvar ce qui est à Pulvar, une ouverture vers le féminisme, une inspiration un peu comme une étoile filante. J'aurais bien aimé qu'elle continue à briller un peu plus longtemps...

De la culture en général.... 
  
...je parlerai peut-être plus tard, ça mérite très certainement un article ou deux. D'ailleurs je l'annonce ici : mon prochain article ne sera pas tellement ronchon non plus puisqu'il parlera de la chanteuse Tori Amos.

Des livres, des cours et une correspondance avec ma prof de littérature.

La fac a été une période déterminante sur ma position en tant que féministe, parce qu'il s'est passé pas mal de temps avant que je n'assume vraiment qui je suis. Lors de choix de sujets pour des exposés, je m'orientais souvent vers ceux concernant la situation de la femme. Je répondais à ma voisine qui s'exclamait alors « toi, je parie que tu es féministe ! » un faiblard « un peu, oui ». Un peu, oui ? Mais qu'est-ce que c'est que cette réponse ? Bonjour je suis une féministe modérée, je suis modérément pour l'égalité et je dis « s'il vous plaît » avec le sourire et l'échine courbée comme il convient. Il faut dire que je suis tombée sur des phénomènes, entre cette dernière, qui dès lors m'affirma fièrement être misogyne, et une autre camarade qui était contre l'avortement, je me suis sentie très seule ! Et surtout particulièrement déçue, moi qui pensais rencontrer à la fac, des gens avec qui j'aurais été sur la même longueur d'onde (choix d'études précises après le bac donc supposition hasardeuse de points communs, c'est un peu ce que tout le monde nous promet...), je me retrouvais parfois face à des fous furieux. Mais le milieu hostile ça forge le caractère, on finit par s'affirmer et par avancer ses arguments. Du moins, ce fut le cas pour moi heureusement, même si l'adversité ne fut pas une partie de plaisir.

Heureusement, les discours de certains de mes professeurs m'ont redonné un peu d'espoir et parmi eux, celui qui m'a le plus marquée, celui de Maria Tang, ma prof de littérature, intervenue lors d'un cours sur les fameuses « gender studies » par un professeur Canadien (si ma mémoire est bonne, quant à son nom je l'ai bel et bien oublié!). Je ne sais pas combien de temps a duré l'intervention mais cette femme qui m'avait déjà soutenue à une époque où je désespérais, m'a fait comprendre que j'ignorais encore énormément de choses à ce sujet. J'ai quitté l'amphithéâtre les yeux plein d'étoiles, le cœur léger et le cerveau tout retourné. Et c'est l'effet que me fait chacune de ses lettres. Allez, je l'avoue, cette personne est probablement la personne que j'admire le plus au monde. Je ne regrette pas d'avoir eu le courage un peu fou de lui écrire et de lui raconter mes aventures depuis mon arrivée sur le sol anglais ! Avant de franchir le pas, fidèle à moi-même, je me suis demandé si c'était une bonne chose, si je ne me donnais pas trop d'importance et si, avec le peu que je connaissais d'elle, je ne l'idéalisais pas tout simplement. Plus je reçois de lettres et de cartes, plus je suis persuadée que j'ai vu juste et que j'ai bien fait de prendre le risque de passer pour folle (ce que je suis un peu quand même). Je ne l'effraie décidément pas puisqu'elle continue de répondre à mes lettres et ces temps-ci c'est plutôt moi qui prend du retard dans notre correspondance ! Honte à moi !! Quoi qu'il en soit, elle ne manque jamais une occasion quand il s'agit de me donner des conseils de lecture et je ne manque jamais une occasion de me jeter sur ces ouvrages. Dernièrement, elle m'a recommandé le blog de Sarah Ditum et plus précisément l'article concernant l'intersectionnalité qui m'a beaucoup fait réfléchir (vous noterez qu'il y a toujours des choses qui me font réfléchir, maudite intellectuelle que je suis!) et m'a permis d'affirmer mes positions. Je pense que nous avons besoin de l'intersectionnalité (concept) autant que de l'intersectionnalité (mot), vous suivez ? Si non, j'y reviendrai peut-être également, ça mérite d'être expliqué.

Bref, je ne saurais trop comment rendre véritablement hommage à cette grande dame qu'est Maria Tang et sans qui je ne serais sûrement pas où je suis en ce moment ! Le simple fait de savoir qu'elle est à portée de lettre est incroyablement rassurant. J'ai envie de croire qu'il y a quelque chose de stable dans ce monde.

La “communauté” féministe de twitter.

Je suis une féministe 2.0 c'est un fait. J'ai manifesté dans ma vie pour quelques causes mais jusqu'à présent jamais pour les femmes. A ce sujet si quelqu'un sait où je peux me renseigner pour savoir où se trouvent les manifs pro-IVG en Angleterre... je suis preneuse ! En revanche, même si je suis souvent derrière mon écran ou derrière un bouquin, quand j'en ai l'occasion je parle autour de moi de ce qui pose problème, ce qui, comme je l'ai expliqué dans mon premier article, demande de se lancer dans le vide avec détermination et d'être prêt à entendre les mêmes réactions en boucle, souvent assez désespérantes.

Oui, je parle d'égalité quand j'exerce mon métier, j'invite mes élèves à se poser des questions sur leur façon de voir le monde. Et si j'entends des remarques homophobes, je réagirais certainement différemment de certains collègues entendus/lus ici et là qui ignorent le problème, en rigolent ou abondent carrément dans le sens des propos tenus par certains élèves. Dans un climat actuel pour le moins tendu sur ces questions, je sais que je prends des risques et je trouve révoltant que ce soit « risqué » de faire réfléchir sur l'égalité. En 2014, ça ne devrait être ni plus ni moins que normal. Je ne prends rien de tout cela à la légère, je n'impose pas non plus mon point de vue et je ne cherche à convertir personne à quoi que ce soit.

Voilà, tout ça pour dire que non, le fait de parler féminisme sur twitter ne m'empêche pas d'appliquer mes convictions à la vie réelle. Je dirais au contraire que les féministes de twitter m'ont appris énormément de choses ! Parce que rares sont celles qui se contentent de 140 caractères et beaucoup alimentent régulièrement leur blog ou les blogs d'autres féministes. Évidemment on peut mentionner l'article de Mar_Lard sur le sexisme dans le milieu geek (que vous pouvez trouver sur le blog Genre dans les liens à droite de cet article), qui a ouvert les yeux de beaucoup et face auquel on a eu des réactions de déni typiques. Quoi qu'il en soit il a fait grand bruit et c'est une bonne chose. Grâce à ces féministes, je me suis informée. J'ai eu du mal à comprendre, j'ai hésité, j'ai changé d'avis, j'ai tenté de peser le pour et le contre et parfois je ne sais toujours pas dans quel camp je me trouve mais je sais que ce sont d'abord les concerné.es qu'on se doit d'entendre et que ça n'est pas toujours moi donc j'ai appris à me taire (pas comme dans cet article ou je suis quand même bien bavarde).

Il en reste encore... des inspirations, pas toutes féministes mais j'ai dépassé les 2500 mots, je vais peut-être me calmer maintenant si vous le voulez bien. Merci.

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Vous avez lu jusque là, vraiment ? Vous m'épatez ! Promis je fais plus court la prochaine fois...