samedi 18 janvier 2014

Je suis féministe.

Petite précision : lorsque j'ai écrit cet article, il s'est d'abord nommé "je suis une féministe intersectionnelle", parce que je ne réalisais pas encore à quel point c'était maladroit, déplacé et assez prétentieux de se définir comme telle pour une blanche ! Erreur réparée, je pense que ça prouve que personne n'est à l'abri de dire des bêtises !
Bienvenue donc sur le Ronchon Blog, je suis ronchon, oui mais c'est pour la bonne cause. Toi aussi, ronchonne avec moi :)

***

Beaucoup de mes amis le savent je pense mais j'ai quand même envie de préciser les choses et de dire pourquoi parfois c'est difficile d'être droite dans ses bottes avec de telles convictions, à plus forte raison face à ses proches justement...

Je suis une féministe.

Je ne l'ai pas toujours été, bien sûr. Avant d'être féministe (avec la volonté d'utiliser cet outil qu'est l'intersectionnalité) j'étais dans le prêt-à-penser par lequel tout le monde passe : les féministes sont des extrémistes/hystériques qui réclament la domination du monde par la femme et veulent éradiquer l'homme (ça c'est pour la version soft). L'intersectionnalité ? Jamais entendu ce nom là.
On a tous des préjugés, moi y compris. Face à ce constat, plusieurs réactions : il y a certaines personnes qui se demandent « tiens, pourquoi est-ce que je pense ça ? » et qui vont se renseigner et finir par s'apercevoir qu'en fait ils ne savaient rien, et il y a les autres, qui s'en foutent et qui n'ont pas envie d'y voir de problème ou de « se prendre la tête ». Oui se prendre la tête et réfléchir par chez nous c'est tout pareil ! Je dirais qu'il existe une autre catégorie encore, qui, face aux arguments campera sur ses positions parce que c'est plus confortable que d'admettre qu'on a eu tort et de présenter des excuses ou pire, de se remettre en question.
Pas de bol pour moi je suis très curieuse, je veux tout savoir et je suis avide d'égalité depuis toujours, du coup je me sens souvent seule et je me prends des claques parce qu'il faut bien l'avouer : on ne vit pas dans un monde de gens curieux et ouverts d'esprit !
Vous vous souvenez de ces repas de famille avec votre tonton raciste ou votre mamie homophobe ? Quand on est féministe c'est pareil sauf que c'est tout le temps et partout.

C'est une image classique (Matrix) mais une métaphore tout à fait exacte de ce qu'on ressent quand on est sensibilisé sur des sujets que le reste du monde semble ignorer. On a pris la pilule rouge, les autres ont pris la bleue ou bien n'ont pas encore été confrontés à ce choix. Alors évidemment on ne détient pas la vérité absolue, mais on a choisi de voir ce qui pose problème et on ne peut pas faire marche arrière, ça nous saute aux yeux. C'est comme si nous participions à une même conversation, sauf que ceux qui n'ont pas pris la pilule rouge ne voient pas les sous-titres.

Quoi de plus difficile que de causer de ces choses sur facebook, après avoir vu passer un article « humoristique » stigmatisant, sans être immédiatement accusée de ne pas avoir d'humour. Parler sur facebook c'est en général s'adresser à ses proches, c'est beaucoup plus difficile que de discuter avec des inconnus puisque se fâcher avec ces derniers n'a pas vraiment d'importance.
Parce que dans la tête de la plupart des gens on peut (voire on se doit de) se moquer de tout le monde ! L'humour oppressif ? On connaît pas et on considère que la discrimination ce serait de ne pas se moquer des noirs, des homos, des gros/ses, des maigres... alors qu'en fait l'humour fait partie intégrante des mécanismes d'oppression, c'est même un instrument redoutable parce qu'au lieu de questionner ce qu'on entend, on a la réponse toute faite qui est que l'humour c'est subjectif ! Et personne n'osera dire qu'en fait non, on ne peut pas rire de tout, que la plupart du temps on n'est pas en présence d'humour subversif car on ne rigole pas de la catégorie qui oppresse : on ne rigole pas des blancs, on ne rigole pas des hétérosexuels, on ne rigole pas des responsables du body-shaming... mais bien des victimes elles-mêmes ! Vous pouvez chercher, l'humour qui critique et se moque des catégories dominantes, c'est loin d'être monnaie courante ! Et une discussion lancée à ce sujet a de grandes chances de se terminer par « T'es pas tolérant ! Et puis si ça te plaît pas t'as qu'à pas regarder/écouter ».

J'aimerais revenir sur une chose, les oppressions non-officiellement reconnues. Ces causes que nous défendons alors que bon franchement c'est pas des vraies causes quoi, c'est juste pour « rager » parce qu'on est frustrées et qu'on n'a pas confiance en nous (vrais arguments de vrais gens). On s'accordera plus facilement à dire que le racisme ou l'homophobie c'est mal parce qu'on nous l'a appris et que même si nous évoluons dans un système qui permet encore largement à ces oppressions d'exister, on a conscience que c'est une discrimination établie et on s'offusquera de celle-ci si effectivement on la reconnaît quand on la voit. Mais si je dis « putophobie » ? « Grossophobie » ? Voire « transphobie » ? Ces oppressions là, qui fonctionnent pourtant sur le modèle des précédentes ne sont pas reconnues. La lecture de ces mots, hors contexte et si on ignore totalement de quoi il retourne, pourrait même faire sourire. Je trouve qu'ils sont parfaits, ils ressemblent à des abris de fortune, construits faute de mieux, parce qu'on se bat avec ce qu'on a et que les moyens sont souvent pauvres, pourtant il faut des mots pour pouvoir se battre contre quelque chose de concret. Les mots sont importants.

La grossophobie par exemple, résultat de ce qu'on appelle le body-shaming, est tout à fait tolérée et même encouragée. Nous en sommes à peu près tous victimes (plus particulièrement les femmes) étant donné que la norme qu'on veut nous imposer, la perfection des magazines et autres pubs, est inatteignable. Nous participons parfois activement à ce diktat de la beauté. Quand on pense à un « thon », à un « boudin » on a presque automatiquement en tête l'image d'une femme grosse de préférence. Faire une blague là dessus relève du poncif et pourtant ça en fait encore rire beaucoup ! Il est d'autant plus difficile de convaincre les gens que ça ne devrait pas être normal que les victimes elles-mêmes peuvent ne pas se rendre compte de l'oppression qu'elles subissent. Et si elles sont blessées par certains propos on leur dira gentiment qu'elles n'ont pas le sens de l'auto-dérision, que c'est du second degré, on leur dira même comment il faut qu'elles prennent la chose, autrement dit on fera ce qui s'appelle du « splaining ». Le splaining c'est quand on explique à une personne victime d'oppression que c'est à elle de se remettre en cause, que le problème que la victime pointe du doigt n'existe tout simplement que dans la tête de celle qui le dénonce et qu'il faut qu'elle passe son chemin si elle n'est pas contente. Elle gâche la fête.
Petite précision : quand un homme dit qu'il préfère les rondes pour telles ou telles raisons et que c'est bien mieux qu'un « sac d'os » etc... il ne lutte absolument pas contre la grossophobie et au contraire contribue au body-shaming en toute quiétude : blâmer les « maigres » ou les « grosses » c'est la même chose, d'autant qu'il serait bon de rappeler que le corps des femmes n'existe pas pour être validé ou non par ces messieurs, à bon entendeur...

Il y a tout un vocabulaire que j'ai découvert en m'intéressant au féminisme intersectionnel qui m'a permis de mettre des mots sur des situations vécues. Tout un tas de mots qui ne se trouvent parfois ni dans le dictionnaire ni dans la langue française (pour vous dire à quel point on ne risque pas d'enfoncer des portes ouvertes dans le domaine). Des termes qui seraient pourtant la base d'un potentiel débat constructif...

En me renseignant, en écoutant d'autres parler et en les laissant aller jusqu'au bout sans vouloir à tout prix avoir raison, j'ai aussi pris conscience de mes propres privilèges, ce qui m'a rendu humble face aux situations que je ne vis pas directement et qui me fait encore réfléchir sur ma prise de parole. J'ai toujours cru, par exemple, qu'en tant que blanche et hétéro, prendre la parole le plus souvent possible sur le racisme et l'homophobie était bénéfique et aidait grandement le débat car en tant que personne « extérieure » et non directement impliquée, cela me donnait une certaine objectivité. Il n'y a rien de plus faux et l'enfer est pavé de bonnes intentions ! Je peux parler de ces sujets, c'est une bonne chose mais je ne dois pas parler à la place des principaux concernés, de ceux qu'on n'entend pas, c'est leur voix qui doit primer sur la mienne puisque je fais partie de la catégorie dominante ! On n'est jamais extérieur à aucun système d'oppression ! Logique, non ? Quand on y réfléchit oui ! Sinon en aparté... on pourrait parler par exemple de l'invisibilité médiatique des musulmanes ou des prostituées que certaines féministes comme Isabelle Alonso, qui a pignon sur rue en la matière, choisit consciemment de nier dans son dernier article sur le sujet. Comment peut-on dire à ces femmes que l'on entend jamais qu'on aimerait pouvoir s'exprimer « quand on est ni musulmane ni prostituée » ? Quand on publie des livres et qu'on passe à la radio et à la télévision quand on veut ? Sérieusement, ça m'échappe complètement. Voilà et puis ça me permet de vous dire : il n'y a pas un féminisme mais des féminismes ! Le féminisme d'Alonso n'est pas le mien, clairement.

Bref, tout ça pour dire que tout ça s'apprend à condition qu'on le veuille et qu'on soit prêt à revenir sur ce qu'on pense et pourquoi.

Zut, je voulais faire simple...

mais le sujet ne se prête pas vraiment à la simplicité. L'égalité comme la politique et tout ce qui touche à la société et à l'humain de manière générale sont des sujets délicats, qu'on préfère éviter quand on est entouré de ses proches de peur de découvrir un truc rédhibitoire. On peut tous être sexistes, racistes, homophobes à un moment donné, si c'est de l'ignorance ça reste quand même moins grave que si c'est assumé, non ? Dans le doute on peut prendre ce qu'on voit pour de l'ignorance, après une conversation cartes sur table, c'est plus compliqué... Cependant je sais qu'il y a des personnes ouvertes à la discussion et d'autres avec qui ce sera plus difficile voire impossible. Je ne passe pas toujours « à l'attaque », j'ai tendance à être indulgente parce que je me dis que je suis aussi passée par là quand je ne savais pas encore tout ce que je sais, et je dis sûrement encore des conneries parce que j'ignore encore beaucoup de choses ! Ah si tout le monde pouvait au moins reconnaître ça...
On m'a fait remarquer que si je ne parle pas de ce qui ne va pas, si je ne vais pas à la confrontation des idées avec les concernés, les gens ne sauront jamais et ne verront jamais le mal dans ce qu'ils disent/partagent... certes ! Mais alors si c'est facile pour certains d'entre vous tant mieux ! Faites-le aussi souvent que vous le pouvez ! Personnellement, je trouve cette démarche très éprouvante et stressante, on ne sait jamais à l'avance si les relations avec la personne sortiront indemnes du débat. C'est autre chose que d'avoir ou de ne pas avoir de goûts musicaux en commun avec quelqu'un qu'on aime ! Je suis toujours prête à me laisser convaincre par un bon argument mais rares sont les gens qui partent dans une conversation sur un sujet sérieux avec les mêmes dispositions hélas ! Et en attendant les réponses de la personne à qui on s'adresse c'est l'angoisse ! J'ai toujours eu horreur des conflits alors quand il me vient à l'idée que peut-être je peux en provoquer un moi-même, j'y pense à deux fois ! Je continue de penser que c'est ce qu'il faut faire, dans l'idéal !

(et si je vous disais... qu'on peut changer d'avis en fonction des nouvelles informations reçues)
Paf une deuxième image de Matrix... c'est un hasard mais ça illustre bien mon propos quand même, non ?

Voilà, malgré ça je vous souhaite une bonne année 2014, je pense que les fêtes de fin d'année et les repas de famille sont LE moment de l'année où on se dit qu'on aimerait faire comprendre des choses à ses proches sans se les mettre à dos... quoi que le tonton raciste lui il cherche le contraire quand même : vous convaincre il s'en fout, tout ce qu'il veut c'est vous pourrir le repas !

Sa Majesté Kane